dimanche 15 décembre 2013

IL EST TEMPS POUR MOI...

... de mettre ce blog au repos pour quelques jours.
D'autres tâches m'attendent...




Très bonnes fêtes à vous , quelle que soit la façon dont vous les passiez.
A très bientôt, en janvier !




mercredi 11 décembre 2013

LA MALEDICTION DES COLOMBES





"THE PLAGUE OF DOVES" - 2008 -
Auteure : Louise ERDRICH
Traductrice : Isabelle REINHAREZ
Editions : Albin Michel/ Le livre de poche n°32488 2010  - 470 pages-


Quatre voix pour un récit ou plutôt une multitude de récits entre hier et aujourd'hui, qui prennent racine  dans le Dakota du Nord, au fin fond des Etats-Unis, dans une petite ville, Pluto, construite, comme de nombreuses bourgades le furent, par pur esprit spéculatif, dans l'espoir qu'elles deviennent  grandes, "quand le chemin de fer parviendrait dans cette partie du monde".
Pour les blancs il s'agit juste d'immenses terrains au milieu de nulle part, mais pour les indiens qui en ont  été chassés pour être rassemblés dans une réserve, il s'agit de leur terre, dont la perte restera "logée en eux pour toujours". 

Les années ont passé donc, la bourgade n'est pas devenue grande. Indiens et blancs se sont mêlés et leur histoire s'est tissée peu à peu comme une toile d'araignée, autour d'un double drame : le massacre de toute une famille de fermiers blancs suivi de la pendaison, par d'autres fermiers blancs, de cinq indiens innocents.
Curieusement, deux personnes ont réchappé de ces infamies : un bébé de quelques mois et un indien, dont, curieusement, "il n'était pas question qu'ils le pendent jusqu'à ce que mort s'ensuive".
Aujourd'hui tous les protagonistes de ces évènements sont tous plus ou moins attachés  par les liens du sang et ont tellement mélangé "dans la source de leur existence culpabilité et victime" qu'"on ne peut démêler la corde".

Pourtant  la corde sera démêlée, chacun des quatre narrateurs suivant un tronçon du fil, renouant les morceaux qui s'étaient dispersés, mettant au jour ce qu'ils savaient, en fait, depuis longtemps.
Et la boucle sera bouclée, les deux acteurs de la terrifiante page d'ouverture se retrouvant dans un rapport inversé, quelques lignes avant que le récit ne se referme.

Pourtant ce livre n'est pas un roman policier et si cette intrigue est au coeur de l'histoire, c'est de bien autre chose aussi que l'on parle ici.
Nous sommes chez les perdants, si l'on veut entendre par ce mot, ceux  que la réussite sociale a oublié quelle que soit leur origine :  les indiens ont perdu leur terre, les blancs leurs illusions, il n'y a d'ailleurs  plus vraiment d'indiens ni  de blancs, la ville va bientôt disparaître,  les jeunes sont partis ou le feront,  pour ceux qui restent, "la vie à présent [c'est]le châle et la radio."
Mais ses perdants ont été bien riches, de leurs espoirs, de leurs talents. Leur bonté, leur compassion ont su toucher au coeur quelques uns, en perdition. Leur volonté de vivre les a poussé parfois bien loin, mais le monde n'est pas tendre, même s'il peut être drôle !
Ils ont ainsi trouvé la liberté "pas seulement dans la fuite, mais dans le coeur, l'esprit, les mains".


Un roman complexe et superbe inscrit, pour ne rien gâcher dans ces grands espaces dont l'auteure sait si bien rendre l'atmosphère :

"Alors que le soleil se couchait, la lumière filtra à travers la fumée et donna à l'air autour de nous et loin à l'ouest une teinte d'or orangé. Un rayonnement étrange et troublant gagna peu à peu le flanc des arbres et des maisons. Mooshum et moi regardâmes ce spectacle jusqu'à ce que la lumière commence à décliner. L'air devint frisquet et bleu. il faisait très froid mais nous restâmes tout de même jusqu'à ce que l'obscurité se frange de brun et que Maman vienne à la porte.
"Rentrez à la maison, vous deux", dit-elle d'une voix douce."


Merci à Anis de m'avoir fait découvrir cette auteure !

dimanche 8 décembre 2013

mercredi 4 décembre 2013

C'EST MOI QUI ETEINS LES LUMIERES




"Cheragh-ha ra man khamussh mikonam"
Auteure : Zoyâ PIRZÂD
Traduit du persan par : Christophe BALAŸ
Couverture : David Pearson
Editions : Zulma 2013 - 286 pages-


Comment résister à une telle couverture ? Pour ma part je n'ai pas pu et bien m'en a pris car  le contenu de ce roman s'est vite révélé aussi délicat que son enveloppe.

Nous voici donc à Abadan, en Iran, dans un des lotissements qui accueille le personnel de la compagnie pétrolière qui fait la richesse de la ville.
Clarisse, à peine quarante ans,  vit dans une des maisons du quartier, avec son mari Artush, ingénieur de son état, et ses leurs trois  enfants, Armen le fils aîné qui entre dans l'adolescence et les deux cadettes, si charmantes, Armineh et Arsineh les jumelles aux joues rebondies.
Artush part le matin à la raffinerie dans sa vieille Chevrolet qu'il ne changerait pour rien au monde, les enfants prennent le car scolaire pour rejoindre l'école, Clarisse reste chez elle, veille au ménage, prépare le  goûter des enfants, soigne plus ou moins  son jardin.
C'est elle bien sûr qui écoute : les petites histoires de ses filles et les lamentations de sa soeur, Alice, toujours dans l'attente d'un mari. Clarisse justement aimerait  bien écouter le sien, mais celui-ci ne semble pas avoir grand-chose à dire, ce qui n'est pas le cas de sa mère qui ne peut ouvrir la bouche sans laisser échapper une critique, jamais très méchante, mais acide tout de même.
Est-elle heureuse ?  De quoi se plaindrait-elle au fond ? Sa vie est aisée, ils vont dîner au club, la directrice de l'école, une amie, apprécie autant ses talents de couturière que l'attention qu'elle porte aux traductions qu'elle lui soumet.
Bien sûr tout cela est un peu usant, ces gestes, toujours les mêmes à refaire chaque jour : linge sale à ramasser, tartines à beurrer, histoires à raconter et chaque soir au moment de monter se coucher la sempiternelle question d'Artush  : "J'éteins les lumières ou tu le feras toi-même ?" suivie de la  réponse de Clarisse tout aussi rituelle :   "C'est moi qui éteins les lumières." 
Un peu de solitude ne lui ferait pas de mal, un peu de respect  et d'attention non plus.
Il faut parfois peu de chose pour que tout ce qui était contenu trouve le chemin de la conscience.
Des nouveaux voisins par exemple.  Une curieuse famille : une très belle, très petite et très autoritaire grand-mère, son fils attentif et discret, sa petite-fille beaucoup trop parfaite pour être vraiment sage....
Les choses vont bouger, à peine, Clarisse également,  vraiment ?

C'est donc un livre au charme doux-amer, dans lequel il ne se passe pas grand-chose mais qui m'a tenu sous son charme  de bout en bout, peut-être parce que je m'y suis sentie à la fois en pays connu et déstabilisée pourtant.
Je pensais lire un roman qui se passe en Iran : c'est bien le cas mais dans un cadre tout à fait particulier : la communauté arménienne.
Je pensais également découvrir la vie d'aujourd'hui, celle corsetée par les mollahs et me voici dans un temps indéterminé dans lequel aucun d'entre eux  n'est en vue : les années 60 ?
Je m'attendais aussi à un destin de femme marqué par le patriarcat : ce n'est pas faux, mais le matriarcat fait bien des ravages aussi.
Le charme  de ce roman tient aussi aux qualités très particulières  de son auteure : un oeill exercé, une grande  tendresse, un humour léger, ainsi qu'à son talent pour rendre totalement présents, vivants, ses personnages. 
Au point de me demander quelques jours après avoir refermé le livre ce que Clarisse et  sa famille étaient devenus après la révolution de 1979  ou, pire encore, après la destruction totale d'Abandan durant la guerre contre l'Irak...
Qui sait ?


Sallie and Suko : the English title is : "Things you left unsaid."

dimanche 24 novembre 2013

mercredi 20 novembre 2013

FEDE GALIZIA


C'est devenu un jeu pour moi : rechercher les oeuvres de femmes, dans les musées que je visite.
Le plus souvent il faut y mettre un certain entêtement... La découverte n'en est donc que plus plaisante.

Voici donc mon dernier trophée :  le "Portrait de Paolo Morigia", daté de 1596, exposé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan.

"Portrait de Paolo Morigia" - 1596 -Bibliothèque Ambrosienne, Milan, Italie


Son auteure est une jeune-femme alors âgée de dix-huit ans, Fede GALIZIA, que Paolo Morigia, historien et jésuite n'hésite pas à faire figurer dans son "Nobilita di Milano", parmi les personnes les plus distinguées de la ville.


Détail des loupes dans lesquelles se reflètent des objets de la pièce.


Elle est née en 1578, à Milan justement ou à Trento, dont son père,  Nunzio Galizio, peintre miniaturiste, est originaire.  
C'est lui, bien sûr, qui lui apprend le dessin et la peinture, lui donnant peut-être ce goût du détail parfaitement rendu, qui caractérise l'ensemble de ses oeuvres.
On sait relativement peu de choses de sa vie, si ce n'est qu'elle obtint très rapidement une renommée certaine, qu'elle ne se maria jamais, qu'elle prononça ses voeux le 21 juin 1630 et mourut de la peste quelques temps après.

Si beaucoup de ses oeuvres ont disparu, comme celles commandées par l'Empereur Rudolph II,  si certaines, peut-être même nombreuses, ont été attribuées à d'autres peintres, on estime à environ soixante-trois le nombre de celles, restantes, qui lui sont officiellement reconnues - car signées et datées - ou attribuées.
Parmi celles-ci, des miniatures, des portraits mais également des retables pour des églises de Milan comme le "Noli me tangere" réalisé en 1618 pour l'église Santo Stefano,



ou des tableaux à sujet religieux comme ce "Judith et Holopherne".


"Judith et Holopherne" - 
Ringling Museum, Sarasota, Floride, E-U


Détails du bracelet et signature de Fede Galizia.

Cependant, c'est surtout pour ses natures mortes qu'elle est restée dans les mémoires, puisqu'elle est considérée comme "l'artiste phare de la nature-morte archaïque"* lombarde.


"Coupe avec des prunes, despoires et une rose" - 1602 - Non localisée

Ce tableau,  un petit panneau de bois peint qui est "la première nature morte datée de Fede GALIZIA " et "la première nature-morte datée du XVII ème lombard"*,  est caractéristique de son style mais plus largement encore de celui de cette époque et de ce lieu :

 "Une grande sobriété, une attention aux choses simples, et une tendance à la géométrisation des formes. "*


Au même moment parviennent à Milan, à l'adresse du cardinal Federico Borromeo les premiers et fastueux bouquets de Jan Bruegel, peints sur cuivre.
Ces deux mondes vont se rencontrer... et la nature-morte évoluer.




Sources :
En français : 
-  Galerie Canesso : www.canesso.com, dont sont issues toutes les citations marquées d'une *
En anglais :
- article Wikipedia : Fede Galizia
- Clara database of women artists : http;//clara.nmwa.org
- Delia Gaze : "Concise dictionnary of women artists" : Google books

jeudi 14 novembre 2013

LE RHINOCEROS D'OR

 


Histoire du Moyen-Age africain
Auteur : François-Xavier FAUVELLE-AYMAR
Editions : Alma 2013 - 317 pages 


Autant commencer par le dire tout de suite : ce livre m'a enthousiasmée !
Après avoir hésité à l'acheter, après avoir hésité à le lire, je m'y suis plongée de plus en plus avidement, regrettant amèrement, après plus de trois cents pages qu'il soit déjà terminé.

De quoi s'agit-il ?

Pour faire vite on peut répondre d'un livre d'histoire, et de la meilleure qui soit.
Son cadre ? L'Afrique.
La période étudiée ? Ce que par frustration, on a appelé "les siècles obscurs "de l'Afrique, ce long moment, presque un millénaire,  qui s'étend du VIII ème au XV ème siècle, mais dont on pourrait tout aussi bien penser qu'il est celui des "siècles d'or".

Ce sont  de "maigres sources" qui nous le disent,  et ce sont ces "maigres sources" que l'auteur  nous présentent.

Une à une, par courts chapitres le plus souvent : des récits de voyages, des écrits de géographes, des témoignages de marchands, des rouleaux de papyrus enterrés puis retrouvés, des cartes plus ou moins historiées, des morceaux de fresques, des ruines, quelques statuettes... Très peu de références écrites européennes, beaucoup de textes arabes, quelques témoignages chinois, très peu de choses en fait comparativement à la période antique ou au monde colonial.
Suffisamment cependant pour nous offrir le passionnant portrait d'une Afrique que nous ignorons le plus souvent , une "Afrique de cet âge intermédiaire" qui " a connu de puissantes et prospères formations politiques, mis en oeuvre elle-même sa participation aux grands courants d'échanges intercontinentaux... a vu se développer des villes où des princes africains avaient leurs palais où résidaient des marchands étrangers,  où s'échangeaient produits de luxe et esclaves, où se bâtissaient mosquées ou églises." 
Une Afrique enfin qui "a été l'actrice de l'exploitation de ses propres ressources, parmi lesquelles l'or tenait une place de choix" et qui jouissait "d'une renommée considérable, de l'Europe à la Chine."


Ce qui fait le charme puissant de cet ouvrage, tout au moins pour moi, c'est un mélange de merveilleux et de parfaite  rigueur scientifique.

Merveilleux des situations, des descriptions et des représentations graphiques :
Comment ne pas rêver sur les traces d'Uqba ibn Nâfi, un des commandants de la conquête du Maghreb dans la seconde moitié du VII ème siècle, avançant de proche en proche jusqu'au nord du Niger en fonction des réponses données à sa lancinante question :
  "Y-a-t-il encore quelqu'un au-delà de vous autres ?"

Comment ne pas sourire à la lecture de cet auteur du début du X ème siècle affirmant :
"Dans le pays de Ghâna, l'or pousse comme des plantes dans le sable, comme poussent les carottes. On le cueille au lever du soleil."

Comment ne pas écarquiller les yeux devant ces cartes , qui nous proposent de si belles images de l'Afrique, de ses rois, de ses cités ?


Atlas catalan -1375- Bibliothèque Nationale de France
Et je pourrais ainsi multiplier les exemples à l'envi.

A l'inverse, j'ai été tout autant charmée par la parfaite rigueur scientifique de la démarche : pas d'inventions des hypothèses ou des faits, justifiés par des notes regroupées en fin de chapitre qui ne manquent pas de signaler également d'autres pistes préférées par certains. Un langage clair, un glossaire en fin d'ouvrage, des renvois vers d'autres chapitres, des cartes parlantes...
Une leçon d'histoire et un vrai plaisir !

Il faut enfin signaler les qualités de l'édition : une mise en page moderne et élégante, de beaux caractères très lisibles, des illustrations éclairantes... le tout pour beaucoup  moins cher qu'un gros roman.

Un très beau cadeau à faire ou à se faire !

dimanche 10 novembre 2013

mercredi 6 novembre 2013

LETTRES A SA FILLE




Auteure : Calamity JANE
Traduction : Marie SULLY et Gregory MONRO
Editions : Rivages 2007 - 127 pages-


C'est une correspondance qui n'en est pas une. Une trentaine de lettres écrites sur des carnets durant vingt-cinq ans, qui n'arriveront à leur destinataire qu'après la mort de celle qui les avaient rédigées.

Celle qui les avait rédigées, c'est  Martha CANARY, devenue Jane HICKOK puis Jane BURKE, après ses mariages, mais que l'on connaît surtout par son surnom de Calamity JANE, la femme qui tire plus vite que son ombre.
La destinataire, c'est une petite-fille, puis une fillette, puis une jeune-fille, puis une jeune-femme : Janey O'NEIL, puis OAKES, puis McCORNICK, qui la rencontre de loin en loin, sans savoir qu'elle est sa mère, celle qui l'a confiée pour adoption à Jim et Helen O'NEIL alors qu'elle avait un an,  pour lui épargner "le long cauchemar hideux" d'une vie d'errance.

Vingt-cinq lettres donc, certaines de quelques lignes d'autres de quelques pages, écrites  bien souvent à la lumière des feux de camp : les coyottes et les loups rodent, les indiens aussi.
Vingt-cinq lettres cependant suffisantes pour nous raconter plusieurs vies : celles de la fille d'un prédicateur, qui n'est allée que trois ans à l'école, préférant s'enfuir "à la première occasion qu'elle a eue". Celle d'une femme amoureuse et trompée, celle d'une aventurière, meneuse de bétail, chasseuse d'indiens et de brigands, conductrice de diligence, infirmière, une des vedettes aussi du Wild West Show de son ami Bill CODY alias Buffalo BILL, celle enfin d'une femme vieillie trop vite et devenue aveugle dont la grande peur est de mourir seule, ce qui sera le cas ou presque.

Entre les "Ma chérie" ou "Chère Janey", qui introduisent ces lettres et le "Bonne nuit, Chérie" qui les terminent le plus souvent, c'est toute la souffrance d'une âme  qui nous est ainsi dévoilée. Fierté  d'être une femme "qui s'occupe de ses propres affaires", souffrance d'une femme qui se sent seule,  rejetée, méprisée, vilipendée, surtout peut-être souffrance d'être celle qui ne compte pour personne, celle qui se sent coupable d'avoir donné sa fille -"t'abandonner m'a presque tuée Janey"- celle qui reconnaît qu'elle se traînerait sur les genoux "seulement pour être près de toi".

Beaucoup d'émotion, mais quelques morceaux d'anthologie aussi : l'Ouest, n'est pas l'Est où réside Janey et les moeurs y sont beaucoup moins policées :  La vie de Calamity JANE n'est pas celle d'une bourgeoise ou d'une aristocrate ces "femmes bonnes à rien". Elle doit se défendre, contre les hommes et peut-être plus encore contre les femmes comme celles d'Old Clark City, qui veulent la chasser de la ville... 

"Je lui ai arraché son pantalon long et je l'ai laissée plantée là dans ses culottes de naissance pour que les hommes s'en paient une bonne tranche. Ensuite, j'ai pris le pantalon et ses rangées de dentelle au crochet et je les ai noués au cou d'une autre femme qui était en train de me taper sur la tête. Quand j'ai vu sa langue pendre, je me suis attaquée à une autre."

Ce  qui ne l'empêche pas, de retour chez elle, de préparer son "Gâteau de vingt ans", sa levure ou sa sauce au raifort, dont en bonne mère, elle confie les recettes à sa fille, à présent mariée.

Une belle lecture, très émouvante, très éprouvante aussi devant tant de douleur :

"Toutes ces années, je ne voulais rien d'autre que toi."
"J'ai besoin d'une petite-fille."

Sa propre petite-fille, décédée enfant, elle ne la connaîtra pas.


mercredi 23 octobre 2013

LA SAISON DE L'OMBRE





Auteure : Léonora MIANO
Editions : Grasset - 2013 - 234 pages


Bien loin du décorticage de nos états d'âme, voici un livre qui nous emmène loin d'ici, il y a bien longtemps aussi, pour nous mettre face à une question mystérieuse : que se passe-t-il lorsque, brusquement tout un peuple est confronté à l'incompréhensible ?

L'incompréhensible dans ce cas,  c'est la brutale disparition de douze hommes du clan Mulongo : Deux dignitaires et dix jeunes initiés, qui semblent s'être volatilisés, une nuit, après qu'un incendie, tout aussi insensé, ait ravagé une partie du village.
Les Mulongo forment un peuple paisible et soudé. Ils entretiennent des relations courtoises avec leurs voisins, les Bwele. Leur chef, Mukano, est respecté de tous. Que signifie alors  cet évènement ?
Désemparés par cette situation inédite, les sages font appel à Ebele, épouse de Mundene, le ministre des cultes, lui aussi disparu, mais surtout la matrone du clan, dont chacun respecte la sagesse.
C'est elle qui propose d'isoler  dans une case les dix femmes "dont les fils n'ont pas été retrouvés"  : 
Non pas qu'elle les soupçonne de quoi que ce soit, mais pour que leur douleur soit circonscrite et ne se répande pas dans tout le village, car ce qu'il faut avant tout, c'est comprendre et reconstruire.
Comprendre ne sera pas donné à tout le monde, quant à reconstruire...

De l'aveu même de son auteure, ce très beau roman n'aurait pas vu le jour, si en 2010, un document intitulé "La mémoire de la capture" - la traite transatlantique - ne lui avait pas été donné à lire.
Il s'agissait des résultats d'une enquête menée au Bénin, avec le concours de la Société africaine de la culture et de l'UNESCO, qui démontrait "l'existence d'un patrimoine oral sur le sujet", confirmant en elle "de très anciennes intuitions", devenues "obsessionnelles".

Voici donc de quoi est fait le coeur de ce roman : décrire l'arrachement - être enlevé ou vivre la disparition inexpliquée d'un proche - mais aussi décrire le monde de ceux qui ont vécu de tels évènements, qu'ils aient été emportés au  "pays de l'eau" , dont l'existence pour eux n'avait même pas de sens, ou qu'ils soient restés sur la rive.

J'ai infiniment aimé ce livre, lu d'ailleurs une seconde fois dans la foulée !
On y découvre un monde si peu et si mal connu et la réalité d'une histoire particulièrement cruelle,  portés par de superbes personnages, des femmes majoritairement, et  par l'écriture de  Léonora MIANO, aussi puissante que ses héroïnes.

"Elle  était issue d'un peuple qui possédait une langue, des usages, une vision du monde, une histoire, une mémoire. Elle était issue d'un groupe humain qui, depuis des générations, enseignait à ses enfants que le divin se manifestait à travers tout ce qui vivait."

On y découvre de quelle manière la traite transatlantique a pu détruire des vies mais également le monde dont ses victimes étaient issues. de quelle manière aussi, tous ont su utiliser le legs le plus précieux de leurs ancêtres, "l'obligation d'inventer pour survivre", avec une infinie sagesse.

"Sachons accueillir le jour lorsqu'il se présente. La nuit aussi."

En savoir plus sur l'auteure : Ici

Quelques jours de silence. A très bientôt !


mercredi 16 octobre 2013

LETTRES DE LA GRANDE BLASKET







Titre original : "Letters from the Great Blasket" 1978
Auteure :  Eibhlís NÍ SHÚILLEABHÁIN (Elisabeth O'SULLIVAN)
Traducteur : Hervé JAOUEN
Editions : dialogues.fr  2011- 180 pages-


Durant l'été 1931, Georges CHAMBERS - dont j'ignore tout par ailleurs sinon qu'il était londonien -  se rendit au sud-ouest de l'Irlande pour visiter le phare de Tiaracht Rock, point le plus occidental de l'Europe.
Pour mener à bien cette expédition, il dut faire étape sur l'île de la Grande Blasket, à quelques kilomètres au large du  village  de Duquin.

La Grande Blasket

C'est en se promenant sur l'île qu'il fit la connaissance d'Eibhlís NÍ SHÚILLEABHÁINE,  habitante des lieux,  alors âgée de vingt ans. 
Elle était pieds nus et vêtue de haillons "ou presque".  Plus encore que sa "grande beauté",  se furent son naturel et son caractère enjoué qui frappèrent Georges CHAMBERS. Il ne la revit qu'une seconde fois au cours de l'été 1938.
Ces deux très brèves rencontres sont pourtant à l'origine  d'une correspondance qui s'étale sur une trentaine d'années et dont ce livre témoigne. 
Seul le tiers des lettres d' Eibhlís  y figure, suffisamment cependant pour nous offrir l'occasion de découvrir  la  vie de misère qui fut celle des habitants de l'île, la fin d'un monde aussi.

Nous allons donc suivre d'abord la jeune-fille recevant de son père "le nécessaire à la vie"
Elle, de son côté, "travaille à la tourbe" - ce qui n'est pas une mince affaire - ramasse les pommes de terre, coud et tricote "pour son père et ses frères". Les hommes pêchent le homard, cultivent un peu de blé, élèvent quelques vaches, quelques moutons, en fait juste de quoi survivre. Les plus âgés ne le pourraient pas sans les "aides de l'Amérique", entendez l'argent que leurs enfants, exilés, leur envoient. 

Les distractions sont rares : on danse "un peu", on joue à griller des haricots deux à deux  (l'un pour un garçon l'autre pour une fille) qui, plongés dans une tasse d'eau diront, s'ils se rapprochent, "si ces deux-là ....Tralalalère". 
Les occasions de s'amuser sont même si exceptionnelles, que les veillées mortuaires, pour peu qu'il s'agisse d'un vieillard, apparaissent  comme un vrai moment de détente : on s'y retrouve, on y chante, on y raconte des histoires.

Nous découvrirons ensuite la jeune-femme, première mariée de l'île depuis douze ans, en charge de son beau-père vieillissant, puis la jeune mère d'une petite fille, beau témoignage d'optimisme dans cette île où l'on ne se marie plus, où l'on n'a plus d'enfants "de peur de n'avoir pas assez à leur donner à manger, ni de quoi leur donner la moindre chance dans la vie."

Car la vie est de plus en plus rude, les années passant : la pêche au homard périclite, le prix de toutes les denrées augmente, la vie durant l'hiver est de plus en plus cruelle. Au début du printemps on est "à court de tout" et le repas se résume à quelques pommes de terre "sans cuisine", entendez la viande ou le poisson qui devraient les accompagner.

 Les visiteurs de l'été, porteurs de ressources complémentaires et de distractions, se font rares. Et comme si la vie n'était pas assez rude, même les prêtres, en... 1936, s'en mêlent :

"Aucune danse dans aucune maison de jour ou de nuit, pas de danse à l'extérieur plus tard que dix heures et demie du soir et tous les visiteurs et toutes les familles  doivent être rentrés à cette heure pour dire le rosaire." 

Pas question de ne pas obéir puisque "les prêtres de la paroisse veulent que nous le fassions et aussi parce qu'ils ne béniraient pas les canots ni la mer si on ne leur promettait pas de le faire."
C'est d'ailleurs, l'un d'entre eux qui le 6 février 1941 décidera de fermer l'école, condamnant les quelques enfants restant à la pension sur "la Grande île" et leurs parents à une plus grande solitude encore, si c'est possible.

Lecture sinistre, allez-vous penser ! Et bien non ! Lecture pleine de charme au contraire, de joie de vivre, d'amour pour sa famille et sa terre. 
La tristesse pointe parfois, mais Eibhlís, ne se plaint pas : tout ou presque lui semble normal, c'est ainsi ! Que les garçons jouent vraiment au ballon, quand le filles ne tapent dedans que quand elles en ont l'occasion, que son mari, pourtant bon père et bon époux, prélève chaque semaine 2 des 5 £ octroyées par l'aide sociale pour le tabac dont il ne peut se passer, que les visiteurs venus de New-York aient "la belle-vie", elle ne jalouse rien ni personne. 
Au contraire, elle remercie, pour une belle journée d'été,  pour les colis envoyés par Georges CHAMBERS, pour leur fille guérie, grâce à Dieu !
 Ses révoltes  ? Certainement, faute d'avoir pu en nourrir plus, de n'avoir eu qu'un enfant, certainement aussi  de constater la terrible solitude des aînés, qui savent qu'ils ne reverront jamais plus les leurs, partis en Amérique.
Pourtant c'est qu'elle souhaite elle-même pour leur fille... "La joie de notre vie !"

Un  très beau livre donc !

Ce qui m'a peut-être le plus touchée et qui résume si bien le personnage, c'est sa façon constante de s'enquérir auprès de Georges CHAMBERS, s'il y a bien "çà" à Londres : le jeu des haricots, la pauvre fanfare, les oeufs mangés en abondance pour Pâques : tous ces précieux trésors ! 




 Eibhlís NÍ SHÚILLEABHÁIN, son mari  Seán O CRIOMHTHAIN  et leur fille  Niamh,   quittèrent définitivement l'île le 14 juillet 1942. 
Les  vingt-deux derniers habitants de l'île furent définitivement évacués le 17 novembre 1953.

"J'ai été heureuse dans le chagrin sur cette île. Je pense que la vie ne m'intéressera plus à partir du moment où je serai partie."  


La Grande Blasket aujourd'hui. Cliché : Olivier Desveaux
  
Merci à nouveau à Catherine BAYLE, pour ses conseils de lecture.
Celles et ceux que les îles passionnent trouveront sur le site de Jacques BAYLE-OTTENHEIM, largement de quoi satisfaire leur curiosité.

dimanche 13 octobre 2013

mercredi 9 octobre 2013

LA LETTRE ECARLATE



Titre original : "The Scarlet Letter"- 1850 -
Auteur : Nathaniel HAWTHORNE
Traduction : Marie CANEVAGGIA
Edition : Poche Folio ou format Kindle.


Il y a deux ans, à l'occasion d'un passionnant voyage, j'ai eu la chance de découvrir Boston, Concord et Salem, hauts-lieux des débuts de l'histoire américaine, de sa littérature et du trancendentalisme.
J'en garde un très beau souvenir et je saisis toute occasion d'y retourner par la pensée, en me plongeant dans un livre de THOREAU ou d'HAWTHORNE.

HAWTHORNE donc aujourd'hui et sa magnifique "Lettre écarlate", publiée en 1850, qui est à la fois, un des premiers romans de la littérature américaine et l'une des premières fictions à avoir été publiée en série. aux Etats-Unis.
Un ouvrage qui connût un tel succès qu'il est également considéré comme l'un des premiers "best sellers"...

Mais avant tout, c'est un grand roman, inspiré semble-t-il par l'histoire véridique d'Elisabeth PAIN, dont la tombe, dans le petit cimetière de la King's Church de Boston, attire toujours les admirateurs d'Hester PRYNNE, le double littéraire qu'HAWTHORNE  a choisi de lui donner.

La tombe d'Elisabeth Pain. Cimetière de la King's Chapel. Boston. USA.

Nous sommes  dans les années 1640, dans l'une des premières colonies  fondées sur le sol américain par une communauté puritaine.
Une jeune-femme, de grande allure, est exposée durant trois heures sur le pilori qui domine la place du marché.  Elle porte dans ses bras sa fille Pearl, âgée de quelques mois et  sur le corsage de sa robe, un morceau d'étoffe écarlate, qu'elle a elle-même brodé au fil d'or, d'arabesques et d'une grande lettre A, pour Adultère. Elle vient d'être condamnée à le porter durant sa vie entière.
C'est Hester PRYNNE, récente habitante de la colonie, venue d'Angleterre. Son époux qui devait la rejoindre ne l'a jamais fait et  chacun pense qu'il s'est perdu en mer.
Derrière elle son pasteur, le jeune Révérend DIMMESDALE, issu d'une grande université anglaise, lettré et tourmenté et  certainement promis aux plus hautes fonctions, la supplie de livrer le nom de son complice. Devant elle, aux confins de la foule un vieil homme vient d'apparaître, une épaule plus haute que l'autre, le visage pétri d'intelligence puis brusquement marqué par l'horreur. Bientôt on l'appellera le docteur CHILLINGWORTH et il attachera ses pas à ceux du jeune et fragile pasteur. 
Nous suivront ces quatre personnages pendant sept années, jusqu'à ce que la vérité explose. 
Durant ce temps Hester, sans jamais rien révéler, sans jamais rien tenter pour alléger sa peine aura gagné la considération de toute la communauté et le jeune pasteur  un respect proche de l'adoration . Pearl, aura grandi en véritable feu-follet, interrogeant sa mère sur le sens de la lettre écarlate comme sur la main que le révérend pose toujours sur son coeur. 
Lorsque je vous aurai dit que "chilling" signifie "qui fait froid dans le dos", et que "dim" est à rapprocher de "faible", vous aurez probablement tout compris.

Un roman relativement court, une intrigue qui semble  simple au premier abord et pourtant une oeuvre dont l'épaisseur se révèle page après page :
une dose d'autobiographie, un dose d'histoire, une dose de fantastique, une dose de romanesque, un sens aigu de la nature, une connaissance fine des grandeurs, des petitesses, des tourments de l'âme humaine, de l'ironie et de la tendresse, tout cela rendu par une belle et riche écriture.
De personnages plein de vérité, une leçon de vie aussi - mieux vaut faire face ! -
Comment oublier la très belle et très courageuse Hester PRYNNE ?

J'ai été également très touchée par le portrait de Pearl, sa fille.
Loin des descriptions attendues, HAWTHORNE, lui-même père de trois enfants, nous offre ici un visage complexe  de l'enfance, dont il a su traduire toutes les grâces et les ambiguïtés.

Pour terminer, un petit passage pour vous convaincre, si vous ne l'êtes déjà.
Pearl, enfant solitaire joue dans les flaques d'eau, sur la plage :

"De temps à autre , elle s'arrêtait net et regardait curieusement dans une flaque - miroir  que la mer avait laissé en se retirant pour que la petite Pearl pût y voir son visage. Il la regardait du bord de la flaque, entouré de boucles brunes, avec un sourire de lutin dans les yeux - image d'une petite-fille  à qui Pearl, n'ayant d'autre compagne de jeux, faisait signe de venir courir avec elle la main dans la main. Mais la petite-fille faisait de son côté le même signe comme pour dire : "On est mieux ici ! Viens, toi !" Et Pearl,  enfonçant dans la flaque jusqu'à mi-jambes, n'apercevait plus au fond que ses petits pieds blancs, tandis que des profondeurs plus lointaines, la lueur d'une sorte de morceau de sourire montait et flottait cà et là sur les eaux agitées."


Pour Sallie et Suko, à qui il serait bien cruel d'imposer ce texte uniquement en français !
"Here and there, she came to a full stop, and peeped curiously into a pool, left by the retiring tide as a mirror for Pearl to see her face in. Forth peeped at her, out of the pool, with dark, glistening curls around her head, and an elf-smile in her eyes, the image of a little maid, whom Pearl, having no other playmate, invited to take her hand and run a race with her. But the visionary little maid, on her part, beckoned likewise, as if to say, - "This is a better place ! come thou into the pool !" And Pearl, stepping in, mid-leg deep, beheld her own white feet at the bottom; while, out of a still lower depth, came the gleam of a kind of fragmentary smile, floatting to and fro in the agitated water;"


dimanche 6 octobre 2013

mercredi 2 octobre 2013

NATUTE MORTE et la suite...


Titres originaux : "Still life", "Dead Cold"....
Auteure : Louise PENNY   
Traducteur : Michel SAINT-GERMAIN
Editions : Actes Sud 2011


Changement de registre aujourd'hui, avec une série policière, qui m'a entraînée durant les soirées chaudes d'été, au coeur du Québec en hiver, ce qui constituait déjà un premier et important atout !

Nous sommes donc non loin de Montréal, dans le charmant village de Three Pines, qui comme sont nom l'indique est, curieusement, anglophone.
Niché dans sa petite vallée, au bout d'une route chaotique rendue encore moins praticable par l'hiver, c'est un village modèle, une véritable image d'Epinal version canadienne, avec ses maisons traditionnelles bordées d'élégantes galeries, ses cheminées de pierre d'où s'échappent de lents tourbillons de fumée, son parc et son petit lac que l'hiver transforme en patinoire.
Il abrite une communauté paisible de couples unis depuis longtemps, de vieilles célibataires, veuves ou veufs, qui ont su poursuivre leur vie, un couple gay, aussi, qui tient le bistro magasin d'antiquités où tout le monde se rassemble, un oeil fixé sur les étiquettes qui ornent chaque meuble, puisque tout est à vendre ici, enfin une imposante libraire, seule noire du pays, qui, lassée de ses patients accrochés à leurs misères, a quitté un poste de psychologue, pour s'installer ici.  Tout le monde est plus ou moins artiste et la tolérance règne, ou à peu près, ce qui est déjà beaucoup.

Tout serait parfait donc sous le ciel d'hiver, s'il n'y avait tout de même deux problèmes :
la sinistre maison des Hardley, qui du haut de sa colline, semble depuis toujours menacer le hameau, et la très curieuse habitude de voir des meurtres s'y perpétuer, avec une régularité quasi de métronome.

Mais à toute chose, malheur est bon, cette curieuse habitude, amène tout aussi régulièrement sur les lieux, Armand Gamache et son équipe, soit le chef de l'escouade des homicides de la Sûreté du Québec et ses plus ou moins fidèles seconds, au premier rang desquels  le jeune et séduisant inspecteur Jean-Guy Beauvoir, l'efficace agente Isabelle Lacoste et la catastrophique agente Yvette Nichol qui ne possède rien de ce qui caractérise son chef et ses collègues : une certaine élégance physique, l'art de savoir s'habiller et le doigté professionnel si nécessaire quand on doit face à d'aussi tragiques situations.
Le jeune et enthousiaste inspecteur Robert Lemieux se joindra à eux dès le deuxième volume, au moment même où l'on prendra conscience que le doux Armand Ganache, que l'on croyait apprécié de tous, est en fait l'objet d'une sombre conspiration, à l'intérieur même de la Sûreté du Québec...

Je ne vous dirai rien des intrigues, sinon à quoi bon lire des romans policiers ?  Seulement, qu' inscrites dans un passé plus ou moins lointain, elles sont nourries de sentiments et d'émotions, faisant de chaque meurtre "un acte profondément humain". 
Et c'est ce qui plaît à Armand Gamache, c'est même ce qui est au coeur de sa méthode : comprendre les êtres humains, quitte à passer pour un faible.  C'est ce qui  fait aussi pour moi le grand charme de cette série : beaucoup d'humanité et de bienveillance, dans un monde par ailleurs très noir.
Il faut y ajouter le lieu,  les petites chipoteries entre anglophones  "compliqués" et francophones "directs  et clairs", un vocabulaire parfois secouant,  des citations de poèmes assez improbables, des monceaux de sandwiches, de bacon grillé,  de fèves à la mélasse, beaucoup de thé, une ambiance un peu "planante"...

Un petit conseil pour terminer : poursuivre ! Si le premier volume montre quelques faiblesses, les suivants révèlent de plus en plus de maîtrise... et les saisons passent ! 
Nous voici à Pâques  pour le troisième épisode ( "Le mois le plus cruel"/"The cruellest month"), tout reverdit à Three Pines, je compte bien y passer l'année.


C'est une série à lire impérativement dans l'ordre de parution des livres ! Si chacun développe une intrigue particulière, une autre intrigue se développe aussi d'un volume à l'autre.
Merci à Sallie d'avoir insisté sur ce fait !

mercredi 25 septembre 2013

PERSECUTIONS ET ENTRAIDES DANS LA FRANCE OCCUPEE



Auteur : Jacques SEMELIN
Editions : du Seuil - Les Arènes - 2013 - 901 pages


Il a fallu certainement un grand courage à Jacques SEMELIN, qui a consacré "l'essentiel de [sa] vie de chercheur à l'étude de la résistance et du génocide, à l'échelle internationale", pour entreprendre une telle recherche, qui porte "sur un terrain miné tant cette question est sensible dans les mémoires" et l'on comprend que le soutien de Simone VEIL (for Sallie and Suko) l'ait aidé à franchir ce pas.

Car au départ de son travail il y a un constat résumé sous forme d'un calcul et d'une question glaçants :
Sur les 330 000 juifs vivant en France en 1940, 80 000, soit 25 % d'entre eux, ont été tués, pour la plupart à Auschwitz, alors, "comment a-t-il été possible que trois-quarts d'entre eux aient échappé à la mort ?" 

Cette "énigme française" est donc au coeur de cet ouvrage complexe, dont la rigueur est soutenue par la clarté du propos et l'humanité des témoignages qui fondent les analyses et illustrent parfaitement la multiplicité des facteurs "emboîtés les uns dans les autres", qui éclairent cette situation, faisant de la France, "à considérer les Etats qui ont été militairement occupés par Berlin depuis 1940""le pays où le pourcentage d'extermination des juifs est le moins élevé d'Europe".

Difficile recherche donc, tant il a semblé nécessaire à l'auteur et on le comprend, de conserver tout au long de son travail et "dans le même souffle, le quotidien de la persécution et celui de l'entraide."
Difficile recherche également car multiples sont les facteurs  et nombreux également ceux qui ont joué dans les deux sens, sans parler du plus aléatoire, la chance et son double mortifère la malchance, qui ont souvent tenu un rôle non négligeable. 

Au bout de ces 900 page qu'ai-je retenu ?

Ce bilan, dont j'ignorais le détail jusque là : 
- 75 % des juifs vivant en France en 1940 ont survécu à la guerre : soit entre 87 et 88% des français israélites  mais seulement 56 à 60% des juifs étrangers.
- 3000 juifs sont morts en France dans des camps, il y en avait "quelques deux cents".
- Sur les 80 000 victimes recensées, près de 12 000 étaient des enfants.

La  survie de ceux qui ont échappé aux persécutions n'a été possible que grâce à la conjonction de multiples facteurs - historiques, géographiques, économiques, politiques - et de multiples énergies - individuelles ou collectives, communautaires ou chrétiennes, officielles ou secrètes qui se sont constituées peu à peu en véritables réseaux, dont l'action n'a pu être assurée que par le silence de tous ceux qui les entouraient.
Ainsi, à côté des mouvements d'entraide spontanée, dont les 3500 Justes de France restent un puissant symbole, s'est constitué peu à peu un mouvement de "résistance civile" " déployé par des orgnisations juives et non juives pour mettre le plus possible de juifs à l'abri des déportations". 
Les "lieux de refuge, pays et villages sauveteurs", tels le Chambon-sur-Lignon et le diocèse de Nice en sont l'illustration.

L'arrestation  des enfants et les mouvements de réprobation qu'elle a entraînés, les églises protestantes, puis catholiques, l'héritage républicain - dans l'Europe nazie, seuls deux pays continuent à accueillir les enfants juifs au sein des écoles : le Danemark et la France et les internats y ont souvent joué le rôle de refuge - ont été des freins culturels à la persécution, sans parler de l'esprit patriotique qui a poussé certains a vouloir aider les juifs "non pas parce qu'ils étaient philosémites (et même parfois bien au contraire), mais parce qu'ils voulaient faire quelque chose contre les allemands".

L'aide apportée a été  le plus souvent gratuite... Mais aussi dans certains cas intéressée : rétribution de services, pensions, loyers, main d'oeuvre... ou baptême.

D'autres lecteurs en retiendront probablement d'autres choses, tant cet ouvrage est foisonnant. 
Pour ma part je ne regrette en rien l'effort qu'il m'a demandé...
Heureusement, la rigueur de l'auteur, son style clair, les aides à la compréhension que constituent les dictionnaire des sigles,  cartes et autres index m'ont facilité la tâche, tandis que les photos des témoins sollicités et les transcriptions de témoignages atténuaient l'aridité souvent nécessaire du propos.

Un beau travai donc, dont on comprend que l'auteur soit sorti éprouvé.
Derrière ces analyses il y avaient des hommes des femmes, des enfants,

"meurtris par la persécutions, parfois inconscients du danger,..., terrorisés par la brutalité du pouvoir, abattus par la perte d'être chers, effrayés de se faire prendre à leur tour, prenant la décision déchirante de se séparer de leurs enfants, fuyant de lieu en lieu sous une fausse identité, à la recherche d'un asile, ne sachant de quoi serait fait le lendemain."

Il y avait aussi une formidable pulsion de vie.

dimanche 22 septembre 2013

dimanche 8 septembre 2013

MAGIQUE !


Parc du Mercantour -Alpes-Maritimes- France. Merci à RP !

mercredi 4 septembre 2013

LE COEUR EST UN CHASSEUR SOLITAIRE






Titre original : "The heart is a lonely hunter"-1940-
Auteure : Carson McCULLERS
Traductrice : Marie-Madeleine FAYET
Éditions : Stock - 1947- Le livre de poche n°3035. -445 p-


Les vide-greniers, brocantes et autres foires aux vieux livres  qui fleurissent tout au long de l'été sont toujours une excellente occasion de faire de belles découvertes : vieux magazines qui nous enchantent, livres d'enfance que l'on retrouve avec émotion, auteurs parfaitement inconnus que l'on a brusquement envie de découvrir, mais aussi romans que l'on a toujours voulu lire sans le faire, on ne sait pourquoi. 
C'est ainsi que j'ai acheté pour rien celui-ci, un peu jauni et poussiéreux, un jour pluvieux du mois d'août.
 Que faire d'autre que de commencer à le lire immédiatement ?

Nous sommes dans une petite ville du sud des États-Unis, dans les années 1930. Des filatures  de coton y font vivre les blancs chichement  et les noirs, humiliés, plus pauvrement encore.
Durant à peu près deux ans, nous allons suivre le destin croisé de cinq personnages, une fillette et quatre hommes ainsi que de quelques uns de leurs proches.
Mick Kelly donc a douze ans au commencement du récit. C'est une sorte de garçon manqué, vêtu d'un short et d'un polo. Sandales aux pieds elle traîne derrière elle ses jeunes frère et soeur, fume parfois une cigarette. Surtout elle cache bien ce qui la constitue vraiment : son amour de la musique, qu'elle écoute le soir et essaie de comprendre, "assise sous un buisson",  près des maisons d'où elle s'échappe, diffusée par la radio. Elle a deux rêves : un piano et une chambre rien que pour elle seule.
Bill Brannon, lui est en pleine maturité. Il tient, avec sa femme Alice, qui "ne voit jamais rien", le "New-York Bar", ouvert toute la nuit. Contrairement à elle, il sait tout remarquer de la détresse de ceux qui s'y retrouvent chaque soir et les accueille avec générosité.
Le plus dérangeant est certainement Jack Blount, sorti un jour de nulle part, petit, courtaud, noir de poil, que l'alcool conduit parfois aux portes de la folie : un sentiment ravageur de l'injustice faite à tous ceux qui sont exploités, un désir brûlant de tout faire sauter, un "rouge" en quelque sorte.
Le Docteur Copeland lui ne fréquente pas le bar : c'est un vieux "docteur nègre". Il a consacré sa vie à soigner les siens et continue malgré ses échecs. Un de ses grands regrets, ce sont ses enfants, qui n'ont pas suivi la voie montante qu'il voulait pour eux. Violent il l'a été, envers sa femme en premier lieu. Violent il l'est toujours dans son exigence de dignité pour les siens, auxquels on refuse toujours "la chance de servir".
C'est auprès d'un sourd-muet, John Singer, qu'ils vont tous les quatre trouver ce qu'ils recherchent. 
"Ni occupé, ni pressé", "sans aucune velléité d'insolence", il les accueille à tour de rôle dans la "chambre fraîche et agréable" qu'il loue chez les parents de Mick.  Et surtout il les comprend. C'est ce que leur renvoie son immuable sourire.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que lui se sent perdu depuis l'internement, de son ami Antonopoulos, sourd-muet lui aussi.
"Je ne peux plus rester seul", lui écrit-il "sans vous qui me comprenez."
Un malheureux accident perpétré par le jeune frère de Mick sur Baby, la jeune nièce de Bill Brannon, une rixe à laquelle Jack Blount est mêlé, la maladie, la honte et la colère ravivées par le sort réservé à l'un de ses fils, qui rongent le Docteur Copeland, la perte définitive de l'ami de John Singer, mettront fin à ces rêves comme à cet équilibre précaire.

On ne peut que refermer ce roman, d'amour et de solitude, sans une profonde et durable émotion. En ressentant également une grande admiration pour son auteure, âgée de vingt-deux ans au moment de la publication.


J'ai tout aimé dans ce livre, des descriptions épurées et parfaites aux vibrants discours, toujours à méditer, où que l'on soit.
C'est donc sur deux extraits que je terminerai cet article, pour que vous n'attendiez pas une hypothétique brocante pour trouver et lire ce très beau livre en rien "jauni et poussiéreux".

"La nuit tombait. La lune d'un blanc laiteux, montait dans le ciel bleu et l'air fraîchit. Elle entendait Ralph, Georges et Portia dans la cuisine. La fenêtre éclairée par le feu du fourneau, avait une chaude teinte orangée. Cela sentait la fumée et le dîner." 

"Vous devez vous vendre pour un but inutile afin de vivre. Vous serez rejetés et vaincus. Le jeune chimiste récolte le coton. Le jeune écrivain est incapable d'apprendre à lire. Le professeur supporte un esclavage inutile dans une blanchisserie. Nous n'avons pas de représentants au gouvernement. Nous n'avons pas le droit de vote. Nous sommes les plus opprimés de ce grand pays. Nous ne pouvons pas élever la voix. Nos langues pourrissent dans nos bouches faute d'exercice. Nos coeurs se vident et perdent toute force pour réaliser notre idéal."

dimanche 25 août 2013

ART POSTAL


"écrivez-vous
                                             toujours
                                                    d'amour"

Poste d'Etroubles - Vallée de l'Artanavaz- Val d'Aoste - Italie

Valsavarenche - Vallée de Valsavarenche- Val d'Aoste- Italie

Valsavarenche - Vallée de Valsavarenche- Val d'Aoste- Italie